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Arts et lettres...

5 décembre 2010

Pierre Bayard, "Comment parler des livres que l'on a pas lu", Editions de Minuit, Collection Paradoxe, 2007

Bonjour, chers amis,

Ce livre a été pour moi une révélation, un petit bonheur rare, une époustouflante bouffée d'oxygène. Il ne s'agit pas comme on pourrait le penser d'une dissertation sur l'art de broder en société pour camoufler une ignorance ou une inculture. On ne trouvera pas là des propos pour philistins mais  d'une réflexion sur l'intertextualité, le discours du et sur le livre et le caractère vivant de l'oeuvre littéraire. Le postulat de base est celui ci: le mensonge est général sur les livres: qui a vraiment lu Proust parmi ceux qui s'en vantent, qu'est ce que "lire intégralement", avec attention, qu'est ce que la lecture et la non lecture et les degrés entre les deux ?

Mais tout cette glose est rendue drôle par l'auteur qui met en place une classification hilarante sur les livres inconnus, parcourus, dont il a entendu parler, ou qu'il a oubliés tout en donnant sur chacun un avis de très positif à très négatif...

Dans sa première partie, il détaille les types de non lectures:

- les livres qu'on ne connait pas: être cultivé, c'est s'orienter, choisir, se situer. Ainsi Pierre Bayard n'a pas lu "Ulysse" de Joyce (et je le comprends, j'ai essayé avec une vraie motivation mais il m'est tombé des mains) mais il sait qu'il est une "reprise" de l'Odyssée, qu'il se déroule en une journée à Dublin. il existe une sorte de bibliothèque collective constitué des connaissances éparses sur la situation des livres les uns par rapport aux autres qui génère des apriori, des appropriations intellectuelles pour des livres jamais ouverts...

- les livres qu'on a parcourus: à la mort de Proust, Paul Valéry se fend d'un hommage dans la Nouvelle Revue Française dans lequel il met en avant le talent de l'auteur de la Recherche, tout en reconnaissant ne l'avoir quasiment pas lu.Il démontre que Proust est intéressant par chaque fragment de son oeuvre et qu'on peut ouvrir ses livres à n'importe quelle page et apprécier la qualité littéraire sans connaitre ce qui précède ou ce qui suit. Au XIXème siècle, certains critiques pensent que l'oeuvre se suffit à elle même et qu'il n'est pas besoin de connaître l'auteur (c'est le "Contre Sainte Beuve de Proust"), et Valéry pense (ou Pierre Bayard pense que Valéry pense...) que l'oeuvre elle même est de trop.On est en plein dans le vertige que provoque ce livre: où s'arrête l'ironie et où commence la mise en perspective: imposture ou finesse ? On surfe tout au long de la lecture entre ces deux notions: cette sensation d'être au bord d'un abîme est assez séduisante (sauf pour ceux qui auront décidé dès le départ que Pierre Bayard nous fait une farce qui...ne mérite pas d'être lue).

- les livres dont on a entendu parler: l'exemple pris est cette fois ci celui du célèbre "Nom de la Rose" d'Umberto Eco: Guillaume de Baskerville se fait une idée du contenu mystérieux du livre gardé dans la bibliothèque et qui est à l'origine des meurtres (la "poétique" d'Aristote qui porte sur le rire, antinomique de la foi). Baskerville imagine le contenu de la Poétique à partir de ce qu'il sait des autres livres d'Aristote et à partir des réactions qu'il provoque. Le criminel, le vieux Jorge n'a pas plus que Guillaume accès au livre scandaleux puisqu'il est aveugle. Chacun s'est construit un objet imaginaire, un livre-écran.

-les livres qu'on a oubliés: c'est Montaigne que est convoqué dans ce chapitre. L'érudit bordelais se plaint dans ses Essais de sa faible mémoire. Il avoue même tenir des "fiches de lecture" pour retrouver l'opinion qu'il s'est faite de l'auteur ou de l'oeuvre qu'il étudie.

Dans sa deuxième partie le malicieux Bayard aborde sans peur (sans reproche ?) les discours sur la lecture 

Parler d'un livre avec autrui, c'est bien souvent instaurer un dialogue de sourd, chacun parlant souvent de son livre écran, recomposé ou oublié.. Une anthropologue (Laura Bohannan) a tenté d'enseigner Hamlet aux Tiv, habitants de l'Afrique de l'Ouest. Les Tiv discutent et donnent leur avis sur le récit, en fonction de leur vision du monde (autorité des anciens, non existence des fantômes...). Bayard parle du livre intérieur des représentations. 

L'un des éléments sympas du livre de Bayard tient en ce que ses références ne sont pas forcément toujours de haute volée. Tout un chapitre est ainsi consacré à "Un jour sans fin" le film avec Bill Murray. Murray qui revit chaque jour la même journée (la fête de la marmotte) se constitue un référentiel commun sur la poésie italienne du XIXème siècle pour séduire Andy Mc Dowell: cette fiction permet à ces deux êtres d'échanger leurs livres intérieurs.

La troisième partie est présentée sous forme de conseils aux non lecteurs:

- Avec David Lodge, et une scène de "changement de décor" (excellent bouquin au demeurant comme tous les Lodge) où une professeur d'un département d'anglais reconnait ne pas avoir lu Hamlet, Bayard met en évidence la règle de l'ambiguité: dans la bibliothèque virtuelle où nous évoluons, il est admis de parler des livres non lus, il ne faut pas exhiber sa nudité. Le personnage de David Lodge n'est d'ailleurs pas titularisé. Premier conseil donc: se délivrer de l'image oppressante de la culture infaillible qui nous tyrannise dans l'institution scolaire.

- Bayard défend ensuite le droit d'inventer des livres, reprenant en cela l'argumentaire qu'il avait utilisé dans ses très bons livres" Qui a tué Roger Ackroyd ?" et "L'Affaire du chien des Baskervilles"... Il n'est pas interdit de se laisser guider dans un texte par une logique jugée vraisemblable. On peut imaginer, lire entre les lignes, sortir du conventionnel ou de l'interprétation standard.

- Enfin, et cyniquement Bayard conclue avec Wilde que lire un livre ne doit pas prendre plus de 6 minutes puisque le but du jeu dans le discours sur livre est d'abord de parler de soi " je ne lis jamais le livre dont j'écris la critique: on se laisse tellement influencer". En parlant d'un livre on écrit son autobiographie et on devient à son tour écrivain.

Cet essai est vraiment réjouissant: dans quel mesure Pierre BAYARD joue t il à provoquer ou croit il ce qu'il écrit ? Ce non lecteur a manifestement beaucoup parcouru les rayonnages de la bibliothèques collectes et qu'il ait étudié ou non toutes les oeuvres citées, il nous régale en sortant des sentiers battus avec un délicieux sens du paradoxe.

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5 décembre 2010

Henriette Walter "L'aventure des Langues en occident", Robert Laffont, 1994 et "Le français dans tous les sens", Points

Voilà des livres qui donnent le sentiment quand on les referme d'être plus intelligent qu'avant. Henriette Walter est une extraordinaire vulgarisatrice et ce vocable n'a rien dans ma bouche de péjoratif, bien au contraire. Savante  mais didactique, souvent drôle, Henriette vous enseigne l'histoire des langues sans que vous ayiez à faire d'effort...

A l'origine

Commençons donc par les origines lointaines: l'indo européen, une langue reconstruite théoriquement  à partir de ressemblances frappantes entre les langues existantes ou ayant existées. Par exemple, pour toutes les langues qui ont cette origine commune indo européenne, le mot qui signifie mère est assez proche (mater en latin, mothar en gothique, mathir en vieil irlandais et Matar dans la langue ancienne de l'Inde...) L'indo européen a donné naissance à plusieurs familles de langues en Asie et en Europe. Sur notre continent on citera les familles celtiques (irlandais, danois, breton, ), romanes (italien, français, espagnol, sarde, catalan, galicien, portugais), germaniques (anglais, allemande, néerlandais, danois), slaves, baltes, helléniques (grec), albanaises. Henriette Walter détaille chacune de ces familles mais je me concentrerai dans ce résumé sur quelques unes susceptibles de retenir votre attention.

Hors de cet ensemble indo européen, on trouve la mystérieuse langue basque. Elle partage des traits avec des langues du caucase mais aucun linguiste n'a pour l'heure perçé l'origine de ce très vieil idiome.

Kenavo

Dans la  famille celtique, on trouve le Breton. Le gaulois est resté parlé en Bretagne jusqu'au Vème siècle. Une migration venue de Grande Bretagne a alors donné une nouvelle vigueur à la langue. Le Breton est donc du celte (gaulois)  d'avant Rome revivifié par du celte (gaulois)  britannique... La région, hors des grandes villes (Nantes, Rennes, Vannes) était faiblement romanisée donc latinisée. Au XIème siècle, les invasions normandes commencent et le Breton recule. La zone de Mur de Bretagne aux alentours de Rennes est bilingue français Breton, à l'ouest, on parle les quatre dialectes bretons (cornouaillais, léonard, trégorrois et vannetais), à l'est, français. Le prestige du Breton s'affaiblit après la Révolution...

Alea Jacta Est..

A Rome au IIIème siècle avant JC, on parle...grec. L'étrusque survit également jusqu'au IIème siècle avant JC (fin de la République). Le latin intègre certains mots grecs, étrusques et ...gaulois (celtique) comme carrus, le char, benna qui a donné benne, beccus (bec), brisare (fouler le raisin aux pieds), balai, mouton... Un mot gaulois a connu un destin assez extraordinaire: le "bouge" ou sac de cuir est devenu la "bougette" petit sac et a été emprunté par les anglais qui l'ont prononcé..."budget", mot qui est revenu en France à la révolution prenant finalement le sens qu'on lui connait aujourd'hui !

Au delà de ces quelques exemples du caractère vivant et mouvant des langues témoins de l'Histoire, Henriette Walter nous enseigne qu'il y a une différencitaion entre le latin classique des grands auteurs et le latin vulgaire, quotidien, du peuple sur lequel se sont bâties nos langues romanes actuelles. Le latin "classique" est une langue figée, quasi immuable du IIIème siècle avant JC (premiers écrits) à la fin de l'Empire (Vème siècle après JC). Langue de paysan du latium à la base, le latin était devenu un puissant outil centralisateur, organisateur, permettant d'affirmer le droit et de faire régner l'ordre. Le bon usage, c'est l'urbanitas, les règles fixées dans la ville de Rome: c'est l'Académie avant la lettre...

Avec l'expansion du christianisme, le latin se diffuse pour transmettre l'Evangelium (la bonne nouvelle). Saint Jérome écrit au IVème "la Vulgate", traduction de la Bible en latin.

Le latin parlé se transforme et s'enrichit ou se pollue, suivant le regard qu'on adopte,  au contact des autres langues.

Les langues romanes se sont construites à partir des différentes formes latines classiques ou plus courantes qui permettaient d'exprimer la même idée. C'est ainsi que nous avons caput et testa pour la tête, equus et caballus pour cheval, letum et mors pour la mort, magnus et grandis pour grand, omnis et totus pour tout...Les diminutifs qu'on trouvait peu dans le latin classiques ont fait fureur dans les langues romanes: ainsi l'auris "oreille" devenue "auricula" petite oreille a donné l'italien orecchio et le français oreille.

Dans le latin classique, l'utilisation des cas selon la fonction grammaticale des mots dans la phrase rend l'utilisation de prépositions inutiles. Avec le temps, les syllabes finales sont de moins en moins accentuées et les consonnes finales ne se prononcent plus. Il devient alors nécessaire pour se comprendre de mettre en place un nouvel ordre des mots et de rajouter des coordinations. Ce latin diminué, mal prononcé, "vulgaire" donnent naissance à nos langues. Toutefois dès qu'il est question de créer des mots savants, on se replonge dans les formes classiques. Et même les non latiniste utilisent aujourd'hui des agenda, vont à des forums dans des auditoriums, habitent des duplex, lisent les palmares des meilleurs albums dans les médias, font des lapsus, utilisent un lavabo, reçoivent des prospectus avec un rictus, vont chercher des sponsors, évitent les quiproquos, finissent ex aequo sur le campus, et vice et versa, et caetera. A fortiori, ces quidam, adeptes de rébus et de symposiums accepteront le consensus ou préférerons le refuser sine die... Les exemples donnés continuent ad infinitum (vraiment ce livre, c'est le nec plus ultra !)

D'Astérix à Clemenceau

En France, la conquête de la Gaule commence en 120 av JC avec la création de la Provincia Narbonensis, (à l'origine de la Provence ). un demi siècle plus tard, la Gaule est romaine et le latin prend le dessus sur la langue celtique. Les Francs s'installent dans le Nord et les Alamans à l'Est (ils parlent ce qui deviendra l'alsacien). A la fin du Vième siècle Clovis roi des francs se convertit au catholicisme.Pour la petite histoire en latin le U s'écrit V et comme le C a tendance à s'affaiblir dans la prononciation, ce prénom CLOVIS donnera LOUIS.

Le latin est la langue de la nouvelle religion et le bilinguisme germanique/latin donnera le français, la plus germanique des langues romanes...Voici quelques mots purement germaniques (francs): l'espion, le maçon, la bouée, le bonnet, l'escalope, le parc, le renard, riche, sale, lécher, épargner...Le germanique avait également pour caractéristique de positionner l'adjectif avant le nom d'où une forte probabilité que les noms de communes de type Neufchateau ou francheville correspondent à une influence germanique alors que Chateauneuf ou Villefranche étaient moins influencées par les Francs...La pronconciation à la germaine a également laissé au français son H qui se pronconçait à l'époque comme dans "house" en anglais; les hâches, les halles, les hontes...En héritage, la liaison ne se fait pas pour ses mots quand ils sont précédés d'un S.

Les Normands, au parler également germanique, s'installeront sur le territoire au IX ème et Xème siècle mais laisseront seulement quelques mots dont le "homard" ou la "vague" et des vocables  liés à la mer et la navigation. Au IXème siècle l'Eglise demande que les langues vulgaires soient employées pour les sermon ce qui tend à prouver que le latin n'était plus compris...Ainsi des textes montrent que la conjugaison au futur apparaît à cette période: au lieu des désinences latines bo, bis etc on trouve les terminaisons du verbe avoir, ce qui donne "salvarai, salvaras..." D'ailleurs Charlemagne s'en préoccupe met en place un enseignement basé sur le latin qu'on appellera la renaissance carolingienne. Sont recrées alors des formes directement issues du latin classiques alors même que l'évolution naturelle de la langue avait déjà produit des mots. A côté du mot eau, on va créer aqueux issu de aqua, à côté de l'oeil, on crée oculaire et à côté de frère, fraternel...C'est une relatinisation par les autorités d'Etat. Ces interventions des pouvoirs publics débutent avec Charlemagne et ne cesseront plus. François Ier en 1539 à Villers-Côterêt remplace le latin par le français dans les écrits officiels. Richelieu en 1635 crée l'Académie française censée codifier et fixer les règles, des gens de la cour, dits de qualité. L'abbé Grégoire en 1794 demande l'abolition des patois...

Reprenons notre récit: au moyen âge, le "latin" déformé parlé se subdivise en des patois d'oc plus proche du latin (Sud) ; des patois d'oil sous influence germanique (Nord), une zone dite francoprovençale (bassin moyen du Rhône-Vichy, Lyon, Genève, Grenoble). La prononciation fait évoluer les mots: cheval au pluriel se prononçait chevaouss, bellus: beouss, martellus: martouss, follis: fouss d'où les bizarrerie du français contemporain: un cheval, des chevaux, ne pas se mettre martel en tête mais utiliser un marteau, bel et bien mais un beau jeune homme, un nouvel élan mais un élan nouveau...

Le français d'île de France est mis en avant par les écrivains du XVIème siècle, Du Bellay d'abord avec sa "Défense et Illustration de la Langue française" en 1549 mais il ne se fixe pas si facilement: au XVIIème siècle on roule les R, on ne prononce pas les consonnes finales: on dit mouchoi et couri et non mouchoir et courir. La double négation (ne...pas) est postérieure au XVème siècle. Au départ, comme en espagnol ou en italien "non" suffit puis on rajoute un terme qui renforce le sens: je ne mange mie(tte),je ne bois goutte, je ne couds point, je ne marche pas (je ne fais pas un pas). Bientôt "pas" et "point" l'emportent...L'Académie s'emploie à rigidifier toute règle et ce faisant elle la complexifie, , je cite "généralement parlant, la Compagnie prefere (sic) l'ancienne Orthographe qui distingue les gens de lettre d'avec les ignorans (resic)": elle réintroduit des consonnes superflues comme dans "corps", "temps" mais aussi "poulmon" ou "ptisane"...Le texte d'Henriette Walter fera frémir les puristes: quand l'Académie française fixe la prononciation et décide qu'il faut dire qu'il faut dire asperge et non asparge, guérir et non guarir, ce n'est pas en vertu d'une quelconque étymologie savante, c'est parce que "e est plus doux que a mais il n'en faut pas abuser".

Les patois vivent en parallèle au français, qui n'est jamais que le dialecte d'oil d'île de France, jusqu'à la première guerre mondiale.


"Honni soit qui mal y pense"

On apprendra aussi que Guillaume le Conquérant  devint roi d'Angleterre à Hasting en 1066 et qu'il parlait normand. Le français que la nouvelle cour importe alors  est bien particulier: c'est de anglo normand...Les rois d'Angleterre étaient ducs de Normandie. Toute l'aristocratie et le haut clergé, et de nombreux marchants venus de France s'installent en Grande Bretagne. Le roi Henri II, comte d'Anjou et du Maine épouse Aliénor d'Aquitaine en 1236....Richard coeur de Lion leur  fils parle français. L'anglais ne triomphera qu'à partir du XIVème siècle. Aujourd'hui les armoiries de Grande Bretagne portent toujours l'inscription "Dieu et mon droit". D'où cette interrogation vertigineuse d'Henriette Walter: si Jeanne d'Arc n'avait pas bouté les anglais hors de France, le roi d'Angleterre serait devenu roi de France et le français aurait pu devenir la langue des deux royaumes.. Quelques exemples amusants de l'influence du français sur l'anglais: mach "alumette" n'est que la mèche (meiche) de l'ancien français; toast vient de l'ancien français "toster"/rôtir, fuel, du fouaille "ce qui alimente le foyer" et mushroom, c'est tout simplement le mousseron.

Pour finir

Racontant mille histoires en une, pléthores d'anecdotes et de subtiles analyses, ces deux livres vous démonteront finalement que le français est un latin parlé avec un accent germanique, patois, dialecte, parmi les autres, qui a réussi (il n'y a pas par nature de différence entre dialecte et langue si ce n'est que cet idiome là s'est finalement imposé avec la construction de l'Etat-Nation), et qu'il ne saurait y avoir de français pur, classique tant ce qui choque aujourd'hui ne choquera pas demain. Tout le paradoxe tient en cette dimension mythique d'une langue réputée intangible, rationnelle et parfaite alors qu'elle n'a jamais cessé de "fonctionner" et en fonctionnant d'évoluer...



4 décembre 2010

Lee Konitz New quartet "Live at the village vanguard"

Je suis allé une fois au mythique Village Vanguard à New York et ça a tué toute la magie des disques phares du bee bop. Le concert était hors de prix, sans grand intérêt et la machine à glaçon n'a cessé de troubler notre écoute. De plus, la salle est petite, mal fichue et c'est une expérience que j'ai vraiment regrettée...

Mais voici un nouveau disque de ce survivant de la grande époque (souvenez vous du fabuleux Conception avec Miles Davis en 1951) que je recommande chaleureusement aux amateurs. Le saxophone est fluide et léger, l'inventivité toujours de mise. Par la même occasion, remettez donc sur vos platines (drôle d'expression puisque j'ai acheté le "fichier" en ligne) "Alone Together" (1997) de Lee Konitz/bradh Mehldau (piano)  et Charlie Haden (basse), un autre live légendaire qui marquait l'arrivée de Lee sur le label Blue Note et qui est relaxant à souhait. 

Si la découverte du jazz vous intéresse, n'hésitez pas à visiter mon premier site web, qui n'est plus maintenu mais qui subsiste sur le WWW, Sur les Chemins du jazz

17 novembre 2010

"Dumas et les Mousquetaires" de Simone BERTIERE, "histoire d'un chef d'oeuvre", Fallois, 2009,

Chers amis,

Après un été consacré à la (re)découverte de la trilogie majeure de Dumas (Les trois mousquetaires, Vingt ans après, Le Vicomte de Bragelonne), j'ai eu grande envie d'en savoir davantage sur la création de l'épopée. Le livre de Simone BERTIERE a parfaitement répondu à mes attentes: il n'a rien d'une biographie conventionnelle dans la mesure où il se centre sur l'oeuvre, ses ressorts, son processus de création, davantage que sur la vie proprement dite de l'auteur et il fait de manière assez opportune, à mon sens, une large impasse sur les frasques sexuelles de DUMAS qui franchement ne m'intéressaient guère. En outre, ce livre donne un éclairage sur une période historique ( 1830-1870) que je connaissais relativement mal.

Voici en substance ce  qu'on apprend sous la plume allègre et fine de cette auteur du grand prix de l'académie française de la biographie (et oui, ça existe !):

Le  père d'Alexandre Dumas, (lui même père d'Alexandre Dumas fils, essayez de suivre) est un général révolutionnaire en 1793, républicain farouche mais qui rejette absolument les exactions de la terreur. Il entre en conflit avec Bonaparte avant même le coup d'état. Il sera mis en retraite d'office par celui qui est devenu premier consul et voit sa santé se dégrader jusqu'à son décès en 1806. Le jeune Alexandre passe une enfance heureuse sous l'ombre de ce père auréolé de gloire, dont la légende est magnifiée. Il part à la conquête de Paris et de la gloire, théâtrale avant tout, en vrai enfant du siècle...Employé chez le duc d'Orléans (le futur Louis-Philippe), grace à une recommandation d'une relation de son père, il consacre son temps à l'écriture. Il connaît un succès exceptionnel avec "Henry III", drame romantique qui précède Hernani d'Hugo. Ce qu'on a du mal à concevoir aujourd'hui, c'est que ses contemporains ont préféré Dumas. Hugo a sans doute des vers mieux écrits et ses pièces sont agréables à lire tandis que que le théâtre de Dumas n'est puissant qu'à la scène. En 1830, Dumas est donc un grand Romantique.

A cette période, les députés réclament le départ du très réactionnaire ministre Jules de Polignac. Craignant une répétition de 1789, Charles X se braque et rompt officiellement les principes de la charte qui régit alors les relations du gouvernement et du Parlement. Le Roi supprime la liberté de la presse, dissout la chambre des députés ("j'ai décidé de dissoudre l'Assemblée nationale", ça vous rappelle quelque chose). Dumas participe à cette révolution de juillet, plutôt du côté orléaniste que républicain. A ses yeux, le fils de Philippe égalité est un "prince citoyen" qui pourrait bien lui donner des responsabilités (cette espérance sera déçue)... Et la République, ça a avant tout été en 1792 la guillotine au pouvoir et un pays mis à feu et à sang par des idéologues fanatiques.

Nous sommes donc sous la monarchie de juillet, régime de transition, lent processus de démocratisation, traversé d'émeutes populaires (les canuts de Lyon) en lien avec la constitution d'une classe laborieuse à qui la littérature a donné à jamais le visage de Gavroche dans les Misérables.

Tout en poursuivant ses succès sur scènes, Dumas nourrit des ambitions d'historien et il caresse l'idée d'une grande fresque idéologico-philosophique ( Gaule et France ) qui heureusement pour nous, parce que le projet semblait assez pesant, n'aboutira pas mais l'amènera à effectuer des recherches nombreuses qui nourriront ses oeuvres. Et Dumas produit, produit, produit...en ces époques là. Les théâtres parisiens réclament et ce qui devait arriver arrive: les idées viennent à manquer. Aussi, Dumas va les acheter et c'est ainsi que naît la légende de "Dumas et Cie", la fabrique industrielle de livres populaires, avec ses nombreux nègres. Parfois d'ailleurs, l'inverse se produit, un auteur ou un directeur de théâtre vient demander à Dumas de mettre en forme ou d'arranger un manuscrit difficilement exploitable en l'état.

Recruté par la presse comme critique dramatique, il finit par se convertir, sans passion, au roman feuilleton, face à l'immense succès des "Mystères de Paris" d'Eugène Sue.

Avec la rencontre d'Auguste Maquet, professeur d'histoire et de littérature débute alors l'une des plus extraordinaire collaboration littéraire qui soit: Dumas lui demande de préparer les exposés généraux et historiques. Il se garde la scénographie proprement dite (dialogue, affrontements...) Dumas supervise, commande, relit, ajuste et donne du relief à tous les écrits de son collaborateur. Pendant 7 ans, cet "attelage" va produire quelques unes des oeuvres les plus immortelles de la littérature française, la trilogie des mousquetaires bien sûr mais aussi "Le Comte de Monte Cristo". Simone Bertière explique bien en quoi Dumas reste le seul à pouvoir garder le qualificatif d'auteur: les études détaillées des différentes versions des manuscrits montrent manifestement que le génie dramatique est sa caractéristique propre et qu'il transcende les écrits moins condensés, moins forts, moins palpitants de MAQUET. Incontestablement MAQUET a stimulé les créations de DUMAS et il était indispensable au maître pour tenir la cadence. Jugez un peu la production incroyable de ce duo de choc: entre 1844 et 1845, Dumas publie (et écrit, rappelons qu'il s'agit d'éditer les textes au fil de l'eau dans la presse) "Les trois mousquetaires", "Le comte de Monte-Cristo", "La Reine Margot", "Vingt ans après". Bragelonne s'étale entre 1847 et 1850 en même temps que "les Quarante cinq" et "Le Collier de la Reine". Entre 1845 et 1847, point de mousquetaire mais "juste" Le chevalier de la maison rouge", "La dame de Monsoreau" et "Joseph Basalmo" !

C'est la fuite en avant pour payer les dettes et tenir les engagements pris auprès des différents journaux...Rarement prodigalité d'auteur n'aura été plus profitable au grand public...Dumas fait construire à Marly Le Roi un château dit de "Monte Cristo", qui le ruinera. C'est un décor pour des fêtes sans fin dans lequel s'installeront des parasites qui vivront au frais de l'auteur...

Simone Bertière en vient alors aux Mousquetaires. Elle rappelle la méthode: le mélange de deux sources: les pseudo mémoires de d'Artagnan écrites en 1700 par Courtilz de Sandras et les amours supposées entre Anne d'Autriche et Buckingham  telle qu'on les trouve par exemple dans les Mémoires de La Rochefoucauld. Alexandre Dumas entrelace les données historiques et brode sur des personnages secondaires "dans les interstices des récits officiels". Au passage il fait quelques erreurs de date et laisse passer des anachronismes, parfois par négligence, parfois par souci dramatique. Puisqu'on parle d'incohérence, replongez vous dans les Mousquetaires, celle qui me frappe le plus consiste en ce que d'Artagnan est fait deux fois Mousquetaires ! Dumas, (ou Maquet) semble oublier la première promotion et pendant le quart du livre, notre Gascon redevient Garde !

Simone Bertière propose une petite étude des personnages, de Portos le fort, d'Athos caractérisé par sa probité morale, de d'Artagnan l'intelligence en action et d'Aramis l'homme mystère.

Comme bien des critiques, elle estime que le premier livre est supérieur aux autres. Pour ma part j'ai une préférence pour Vingt ans après . je trouve que nos quatre héros sont tout juste esquissés à l'issue de la première intrigue. Certes le drame les a touché, Constance est morte et Milady a été exécutée: si la vengeance est rendue, on sent que la malédiction commence. Pour s'être substitué à Dieu et à sa justice, ils perdront l'insouciance et seront confrontés au mal, d'abord symbolisé par l'ignoble Mordaunt (à mon sens le meilleur méchant qui soit jusqu'à Darth Vador), puis par la fin des temps chevaleresques, l'oubli de l'honneur des gentilhommes au profit des marchants (cf Planchais, devenu épicier), jusqu'à la mort du dernier des justes, Athos, Comte de la Fère, dans le dernier opus. Dans "Vingt ans après", on sait pertinemment que Charles Ier ne sera pas sauvé ? D'où vient donc qu'on vibre jusqu'au bout en espérant un deus ex macchina salvateur ? Quant au dernier tome justement, s'il m'agace quand il marivaude et décrit et les amours de cour, il développe  un nouvel épisode anglais extraordinaire (la restauration de Charles II) , la fabuleuse et mythique  histoire du Masque de Fer et il introduit avec brio les jeux d'influence respectifs FOUCHER/ COLBERT. Enfin, la personnalité d'ARAMIS se complexifie et il semble finir damné, définitivement tombé du côté obscur.

Après la révolution de 1848, Dumas est criblé de dettes. Il néglige ses romans au profit du théâtre mais les patrons de presse attendent leur livraison et lui font des procès. Insolvable, il fit à Bruxelles, tout de suite après le coup d'Etat de Louis Napoléon. Il prétend d'ailleurs quitter le pays pour des raisons politiques: n'accompagne t il pas Hugo pour son banquet d'Adieux à Anvers avant son départ à Guernesey? L'apparence même n'est pas sauve: la gloire littéraire de Dumas faiblit: il se fâche avec MAQUET, lequel voudrait finalement partager la gloire...Cette gloire MAQUET ne l'eut jamais mais il finit ses jours riche. Dumas, immortel écrivain mourut dans la plus grande misère. Il s'éteint chez son fils, Alexandre, rendu célèbre par sa "Dame aux Camelia" le 5 décembre 1870, juste après la chute de Napoléon III.

Simone Bertière cite cette réflexion de la fin de sa vie, si pertinente pour tous les scribouillards du dimanche: "Commencer par l'intérêt,au lieu de commencer par l'ennui; commencer par l'action, au lieu de commencer par la préparation; parler des personnages après les avoir fait paraître au lieu de les faire paraître après avoir parlé d'eux".

Dans mon prochain "post"  je vous parlerai de deux livres passionnants de la linguiste Henriette Walter "L'aventure des Langues en Occident" et "Le français dans tous les sens".

Bien à Vous

5 novembre 2010

Social Network

 

Courrez voir "Social Network" au cinéma sur Mark Zuckerberg et la création de Facebook. C'est scénarisé par Aaron Sorkin, bien connu des amateurs de The West Wing. C'est une joute oratoire extrêmement intelligente, fine et enlevée. Les acteurs sont remarquables et tous les pièges (film de "nerds", manichéisme, thèse moraliste"). Un film sur l'informatique mais où l'humain et la réalité l'emportent sur le virtuel...une fable des temps modernes ? En tout cas un très très bon divertissement extrêmement bien conduit.

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