Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Arts et lettres...
5 décembre 2010

Henriette Walter "L'aventure des Langues en occident", Robert Laffont, 1994 et "Le français dans tous les sens", Points

Voilà des livres qui donnent le sentiment quand on les referme d'être plus intelligent qu'avant. Henriette Walter est une extraordinaire vulgarisatrice et ce vocable n'a rien dans ma bouche de péjoratif, bien au contraire. Savante  mais didactique, souvent drôle, Henriette vous enseigne l'histoire des langues sans que vous ayiez à faire d'effort...

A l'origine

Commençons donc par les origines lointaines: l'indo européen, une langue reconstruite théoriquement  à partir de ressemblances frappantes entre les langues existantes ou ayant existées. Par exemple, pour toutes les langues qui ont cette origine commune indo européenne, le mot qui signifie mère est assez proche (mater en latin, mothar en gothique, mathir en vieil irlandais et Matar dans la langue ancienne de l'Inde...) L'indo européen a donné naissance à plusieurs familles de langues en Asie et en Europe. Sur notre continent on citera les familles celtiques (irlandais, danois, breton, ), romanes (italien, français, espagnol, sarde, catalan, galicien, portugais), germaniques (anglais, allemande, néerlandais, danois), slaves, baltes, helléniques (grec), albanaises. Henriette Walter détaille chacune de ces familles mais je me concentrerai dans ce résumé sur quelques unes susceptibles de retenir votre attention.

Hors de cet ensemble indo européen, on trouve la mystérieuse langue basque. Elle partage des traits avec des langues du caucase mais aucun linguiste n'a pour l'heure perçé l'origine de ce très vieil idiome.

Kenavo

Dans la  famille celtique, on trouve le Breton. Le gaulois est resté parlé en Bretagne jusqu'au Vème siècle. Une migration venue de Grande Bretagne a alors donné une nouvelle vigueur à la langue. Le Breton est donc du celte (gaulois)  d'avant Rome revivifié par du celte (gaulois)  britannique... La région, hors des grandes villes (Nantes, Rennes, Vannes) était faiblement romanisée donc latinisée. Au XIème siècle, les invasions normandes commencent et le Breton recule. La zone de Mur de Bretagne aux alentours de Rennes est bilingue français Breton, à l'ouest, on parle les quatre dialectes bretons (cornouaillais, léonard, trégorrois et vannetais), à l'est, français. Le prestige du Breton s'affaiblit après la Révolution...

Alea Jacta Est..

A Rome au IIIème siècle avant JC, on parle...grec. L'étrusque survit également jusqu'au IIème siècle avant JC (fin de la République). Le latin intègre certains mots grecs, étrusques et ...gaulois (celtique) comme carrus, le char, benna qui a donné benne, beccus (bec), brisare (fouler le raisin aux pieds), balai, mouton... Un mot gaulois a connu un destin assez extraordinaire: le "bouge" ou sac de cuir est devenu la "bougette" petit sac et a été emprunté par les anglais qui l'ont prononcé..."budget", mot qui est revenu en France à la révolution prenant finalement le sens qu'on lui connait aujourd'hui !

Au delà de ces quelques exemples du caractère vivant et mouvant des langues témoins de l'Histoire, Henriette Walter nous enseigne qu'il y a une différencitaion entre le latin classique des grands auteurs et le latin vulgaire, quotidien, du peuple sur lequel se sont bâties nos langues romanes actuelles. Le latin "classique" est une langue figée, quasi immuable du IIIème siècle avant JC (premiers écrits) à la fin de l'Empire (Vème siècle après JC). Langue de paysan du latium à la base, le latin était devenu un puissant outil centralisateur, organisateur, permettant d'affirmer le droit et de faire régner l'ordre. Le bon usage, c'est l'urbanitas, les règles fixées dans la ville de Rome: c'est l'Académie avant la lettre...

Avec l'expansion du christianisme, le latin se diffuse pour transmettre l'Evangelium (la bonne nouvelle). Saint Jérome écrit au IVème "la Vulgate", traduction de la Bible en latin.

Le latin parlé se transforme et s'enrichit ou se pollue, suivant le regard qu'on adopte,  au contact des autres langues.

Les langues romanes se sont construites à partir des différentes formes latines classiques ou plus courantes qui permettaient d'exprimer la même idée. C'est ainsi que nous avons caput et testa pour la tête, equus et caballus pour cheval, letum et mors pour la mort, magnus et grandis pour grand, omnis et totus pour tout...Les diminutifs qu'on trouvait peu dans le latin classiques ont fait fureur dans les langues romanes: ainsi l'auris "oreille" devenue "auricula" petite oreille a donné l'italien orecchio et le français oreille.

Dans le latin classique, l'utilisation des cas selon la fonction grammaticale des mots dans la phrase rend l'utilisation de prépositions inutiles. Avec le temps, les syllabes finales sont de moins en moins accentuées et les consonnes finales ne se prononcent plus. Il devient alors nécessaire pour se comprendre de mettre en place un nouvel ordre des mots et de rajouter des coordinations. Ce latin diminué, mal prononcé, "vulgaire" donnent naissance à nos langues. Toutefois dès qu'il est question de créer des mots savants, on se replonge dans les formes classiques. Et même les non latiniste utilisent aujourd'hui des agenda, vont à des forums dans des auditoriums, habitent des duplex, lisent les palmares des meilleurs albums dans les médias, font des lapsus, utilisent un lavabo, reçoivent des prospectus avec un rictus, vont chercher des sponsors, évitent les quiproquos, finissent ex aequo sur le campus, et vice et versa, et caetera. A fortiori, ces quidam, adeptes de rébus et de symposiums accepteront le consensus ou préférerons le refuser sine die... Les exemples donnés continuent ad infinitum (vraiment ce livre, c'est le nec plus ultra !)

D'Astérix à Clemenceau

En France, la conquête de la Gaule commence en 120 av JC avec la création de la Provincia Narbonensis, (à l'origine de la Provence ). un demi siècle plus tard, la Gaule est romaine et le latin prend le dessus sur la langue celtique. Les Francs s'installent dans le Nord et les Alamans à l'Est (ils parlent ce qui deviendra l'alsacien). A la fin du Vième siècle Clovis roi des francs se convertit au catholicisme.Pour la petite histoire en latin le U s'écrit V et comme le C a tendance à s'affaiblir dans la prononciation, ce prénom CLOVIS donnera LOUIS.

Le latin est la langue de la nouvelle religion et le bilinguisme germanique/latin donnera le français, la plus germanique des langues romanes...Voici quelques mots purement germaniques (francs): l'espion, le maçon, la bouée, le bonnet, l'escalope, le parc, le renard, riche, sale, lécher, épargner...Le germanique avait également pour caractéristique de positionner l'adjectif avant le nom d'où une forte probabilité que les noms de communes de type Neufchateau ou francheville correspondent à une influence germanique alors que Chateauneuf ou Villefranche étaient moins influencées par les Francs...La pronconciation à la germaine a également laissé au français son H qui se pronconçait à l'époque comme dans "house" en anglais; les hâches, les halles, les hontes...En héritage, la liaison ne se fait pas pour ses mots quand ils sont précédés d'un S.

Les Normands, au parler également germanique, s'installeront sur le territoire au IX ème et Xème siècle mais laisseront seulement quelques mots dont le "homard" ou la "vague" et des vocables  liés à la mer et la navigation. Au IXème siècle l'Eglise demande que les langues vulgaires soient employées pour les sermon ce qui tend à prouver que le latin n'était plus compris...Ainsi des textes montrent que la conjugaison au futur apparaît à cette période: au lieu des désinences latines bo, bis etc on trouve les terminaisons du verbe avoir, ce qui donne "salvarai, salvaras..." D'ailleurs Charlemagne s'en préoccupe met en place un enseignement basé sur le latin qu'on appellera la renaissance carolingienne. Sont recrées alors des formes directement issues du latin classiques alors même que l'évolution naturelle de la langue avait déjà produit des mots. A côté du mot eau, on va créer aqueux issu de aqua, à côté de l'oeil, on crée oculaire et à côté de frère, fraternel...C'est une relatinisation par les autorités d'Etat. Ces interventions des pouvoirs publics débutent avec Charlemagne et ne cesseront plus. François Ier en 1539 à Villers-Côterêt remplace le latin par le français dans les écrits officiels. Richelieu en 1635 crée l'Académie française censée codifier et fixer les règles, des gens de la cour, dits de qualité. L'abbé Grégoire en 1794 demande l'abolition des patois...

Reprenons notre récit: au moyen âge, le "latin" déformé parlé se subdivise en des patois d'oc plus proche du latin (Sud) ; des patois d'oil sous influence germanique (Nord), une zone dite francoprovençale (bassin moyen du Rhône-Vichy, Lyon, Genève, Grenoble). La prononciation fait évoluer les mots: cheval au pluriel se prononçait chevaouss, bellus: beouss, martellus: martouss, follis: fouss d'où les bizarrerie du français contemporain: un cheval, des chevaux, ne pas se mettre martel en tête mais utiliser un marteau, bel et bien mais un beau jeune homme, un nouvel élan mais un élan nouveau...

Le français d'île de France est mis en avant par les écrivains du XVIème siècle, Du Bellay d'abord avec sa "Défense et Illustration de la Langue française" en 1549 mais il ne se fixe pas si facilement: au XVIIème siècle on roule les R, on ne prononce pas les consonnes finales: on dit mouchoi et couri et non mouchoir et courir. La double négation (ne...pas) est postérieure au XVème siècle. Au départ, comme en espagnol ou en italien "non" suffit puis on rajoute un terme qui renforce le sens: je ne mange mie(tte),je ne bois goutte, je ne couds point, je ne marche pas (je ne fais pas un pas). Bientôt "pas" et "point" l'emportent...L'Académie s'emploie à rigidifier toute règle et ce faisant elle la complexifie, , je cite "généralement parlant, la Compagnie prefere (sic) l'ancienne Orthographe qui distingue les gens de lettre d'avec les ignorans (resic)": elle réintroduit des consonnes superflues comme dans "corps", "temps" mais aussi "poulmon" ou "ptisane"...Le texte d'Henriette Walter fera frémir les puristes: quand l'Académie française fixe la prononciation et décide qu'il faut dire qu'il faut dire asperge et non asparge, guérir et non guarir, ce n'est pas en vertu d'une quelconque étymologie savante, c'est parce que "e est plus doux que a mais il n'en faut pas abuser".

Les patois vivent en parallèle au français, qui n'est jamais que le dialecte d'oil d'île de France, jusqu'à la première guerre mondiale.


"Honni soit qui mal y pense"

On apprendra aussi que Guillaume le Conquérant  devint roi d'Angleterre à Hasting en 1066 et qu'il parlait normand. Le français que la nouvelle cour importe alors  est bien particulier: c'est de anglo normand...Les rois d'Angleterre étaient ducs de Normandie. Toute l'aristocratie et le haut clergé, et de nombreux marchants venus de France s'installent en Grande Bretagne. Le roi Henri II, comte d'Anjou et du Maine épouse Aliénor d'Aquitaine en 1236....Richard coeur de Lion leur  fils parle français. L'anglais ne triomphera qu'à partir du XIVème siècle. Aujourd'hui les armoiries de Grande Bretagne portent toujours l'inscription "Dieu et mon droit". D'où cette interrogation vertigineuse d'Henriette Walter: si Jeanne d'Arc n'avait pas bouté les anglais hors de France, le roi d'Angleterre serait devenu roi de France et le français aurait pu devenir la langue des deux royaumes.. Quelques exemples amusants de l'influence du français sur l'anglais: mach "alumette" n'est que la mèche (meiche) de l'ancien français; toast vient de l'ancien français "toster"/rôtir, fuel, du fouaille "ce qui alimente le foyer" et mushroom, c'est tout simplement le mousseron.

Pour finir

Racontant mille histoires en une, pléthores d'anecdotes et de subtiles analyses, ces deux livres vous démonteront finalement que le français est un latin parlé avec un accent germanique, patois, dialecte, parmi les autres, qui a réussi (il n'y a pas par nature de différence entre dialecte et langue si ce n'est que cet idiome là s'est finalement imposé avec la construction de l'Etat-Nation), et qu'il ne saurait y avoir de français pur, classique tant ce qui choque aujourd'hui ne choquera pas demain. Tout le paradoxe tient en cette dimension mythique d'une langue réputée intangible, rationnelle et parfaite alors qu'elle n'a jamais cessé de "fonctionner" et en fonctionnant d'évoluer...



Publicité
Publicité
Commentaires
Arts et lettres...
Publicité
Publicité