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Arts et lettres...
17 novembre 2010

"Dumas et les Mousquetaires" de Simone BERTIERE, "histoire d'un chef d'oeuvre", Fallois, 2009,

Chers amis,

Après un été consacré à la (re)découverte de la trilogie majeure de Dumas (Les trois mousquetaires, Vingt ans après, Le Vicomte de Bragelonne), j'ai eu grande envie d'en savoir davantage sur la création de l'épopée. Le livre de Simone BERTIERE a parfaitement répondu à mes attentes: il n'a rien d'une biographie conventionnelle dans la mesure où il se centre sur l'oeuvre, ses ressorts, son processus de création, davantage que sur la vie proprement dite de l'auteur et il fait de manière assez opportune, à mon sens, une large impasse sur les frasques sexuelles de DUMAS qui franchement ne m'intéressaient guère. En outre, ce livre donne un éclairage sur une période historique ( 1830-1870) que je connaissais relativement mal.

Voici en substance ce  qu'on apprend sous la plume allègre et fine de cette auteur du grand prix de l'académie française de la biographie (et oui, ça existe !):

Le  père d'Alexandre Dumas, (lui même père d'Alexandre Dumas fils, essayez de suivre) est un général révolutionnaire en 1793, républicain farouche mais qui rejette absolument les exactions de la terreur. Il entre en conflit avec Bonaparte avant même le coup d'état. Il sera mis en retraite d'office par celui qui est devenu premier consul et voit sa santé se dégrader jusqu'à son décès en 1806. Le jeune Alexandre passe une enfance heureuse sous l'ombre de ce père auréolé de gloire, dont la légende est magnifiée. Il part à la conquête de Paris et de la gloire, théâtrale avant tout, en vrai enfant du siècle...Employé chez le duc d'Orléans (le futur Louis-Philippe), grace à une recommandation d'une relation de son père, il consacre son temps à l'écriture. Il connaît un succès exceptionnel avec "Henry III", drame romantique qui précède Hernani d'Hugo. Ce qu'on a du mal à concevoir aujourd'hui, c'est que ses contemporains ont préféré Dumas. Hugo a sans doute des vers mieux écrits et ses pièces sont agréables à lire tandis que que le théâtre de Dumas n'est puissant qu'à la scène. En 1830, Dumas est donc un grand Romantique.

A cette période, les députés réclament le départ du très réactionnaire ministre Jules de Polignac. Craignant une répétition de 1789, Charles X se braque et rompt officiellement les principes de la charte qui régit alors les relations du gouvernement et du Parlement. Le Roi supprime la liberté de la presse, dissout la chambre des députés ("j'ai décidé de dissoudre l'Assemblée nationale", ça vous rappelle quelque chose). Dumas participe à cette révolution de juillet, plutôt du côté orléaniste que républicain. A ses yeux, le fils de Philippe égalité est un "prince citoyen" qui pourrait bien lui donner des responsabilités (cette espérance sera déçue)... Et la République, ça a avant tout été en 1792 la guillotine au pouvoir et un pays mis à feu et à sang par des idéologues fanatiques.

Nous sommes donc sous la monarchie de juillet, régime de transition, lent processus de démocratisation, traversé d'émeutes populaires (les canuts de Lyon) en lien avec la constitution d'une classe laborieuse à qui la littérature a donné à jamais le visage de Gavroche dans les Misérables.

Tout en poursuivant ses succès sur scènes, Dumas nourrit des ambitions d'historien et il caresse l'idée d'une grande fresque idéologico-philosophique ( Gaule et France ) qui heureusement pour nous, parce que le projet semblait assez pesant, n'aboutira pas mais l'amènera à effectuer des recherches nombreuses qui nourriront ses oeuvres. Et Dumas produit, produit, produit...en ces époques là. Les théâtres parisiens réclament et ce qui devait arriver arrive: les idées viennent à manquer. Aussi, Dumas va les acheter et c'est ainsi que naît la légende de "Dumas et Cie", la fabrique industrielle de livres populaires, avec ses nombreux nègres. Parfois d'ailleurs, l'inverse se produit, un auteur ou un directeur de théâtre vient demander à Dumas de mettre en forme ou d'arranger un manuscrit difficilement exploitable en l'état.

Recruté par la presse comme critique dramatique, il finit par se convertir, sans passion, au roman feuilleton, face à l'immense succès des "Mystères de Paris" d'Eugène Sue.

Avec la rencontre d'Auguste Maquet, professeur d'histoire et de littérature débute alors l'une des plus extraordinaire collaboration littéraire qui soit: Dumas lui demande de préparer les exposés généraux et historiques. Il se garde la scénographie proprement dite (dialogue, affrontements...) Dumas supervise, commande, relit, ajuste et donne du relief à tous les écrits de son collaborateur. Pendant 7 ans, cet "attelage" va produire quelques unes des oeuvres les plus immortelles de la littérature française, la trilogie des mousquetaires bien sûr mais aussi "Le Comte de Monte Cristo". Simone Bertière explique bien en quoi Dumas reste le seul à pouvoir garder le qualificatif d'auteur: les études détaillées des différentes versions des manuscrits montrent manifestement que le génie dramatique est sa caractéristique propre et qu'il transcende les écrits moins condensés, moins forts, moins palpitants de MAQUET. Incontestablement MAQUET a stimulé les créations de DUMAS et il était indispensable au maître pour tenir la cadence. Jugez un peu la production incroyable de ce duo de choc: entre 1844 et 1845, Dumas publie (et écrit, rappelons qu'il s'agit d'éditer les textes au fil de l'eau dans la presse) "Les trois mousquetaires", "Le comte de Monte-Cristo", "La Reine Margot", "Vingt ans après". Bragelonne s'étale entre 1847 et 1850 en même temps que "les Quarante cinq" et "Le Collier de la Reine". Entre 1845 et 1847, point de mousquetaire mais "juste" Le chevalier de la maison rouge", "La dame de Monsoreau" et "Joseph Basalmo" !

C'est la fuite en avant pour payer les dettes et tenir les engagements pris auprès des différents journaux...Rarement prodigalité d'auteur n'aura été plus profitable au grand public...Dumas fait construire à Marly Le Roi un château dit de "Monte Cristo", qui le ruinera. C'est un décor pour des fêtes sans fin dans lequel s'installeront des parasites qui vivront au frais de l'auteur...

Simone Bertière en vient alors aux Mousquetaires. Elle rappelle la méthode: le mélange de deux sources: les pseudo mémoires de d'Artagnan écrites en 1700 par Courtilz de Sandras et les amours supposées entre Anne d'Autriche et Buckingham  telle qu'on les trouve par exemple dans les Mémoires de La Rochefoucauld. Alexandre Dumas entrelace les données historiques et brode sur des personnages secondaires "dans les interstices des récits officiels". Au passage il fait quelques erreurs de date et laisse passer des anachronismes, parfois par négligence, parfois par souci dramatique. Puisqu'on parle d'incohérence, replongez vous dans les Mousquetaires, celle qui me frappe le plus consiste en ce que d'Artagnan est fait deux fois Mousquetaires ! Dumas, (ou Maquet) semble oublier la première promotion et pendant le quart du livre, notre Gascon redevient Garde !

Simone Bertière propose une petite étude des personnages, de Portos le fort, d'Athos caractérisé par sa probité morale, de d'Artagnan l'intelligence en action et d'Aramis l'homme mystère.

Comme bien des critiques, elle estime que le premier livre est supérieur aux autres. Pour ma part j'ai une préférence pour Vingt ans après . je trouve que nos quatre héros sont tout juste esquissés à l'issue de la première intrigue. Certes le drame les a touché, Constance est morte et Milady a été exécutée: si la vengeance est rendue, on sent que la malédiction commence. Pour s'être substitué à Dieu et à sa justice, ils perdront l'insouciance et seront confrontés au mal, d'abord symbolisé par l'ignoble Mordaunt (à mon sens le meilleur méchant qui soit jusqu'à Darth Vador), puis par la fin des temps chevaleresques, l'oubli de l'honneur des gentilhommes au profit des marchants (cf Planchais, devenu épicier), jusqu'à la mort du dernier des justes, Athos, Comte de la Fère, dans le dernier opus. Dans "Vingt ans après", on sait pertinemment que Charles Ier ne sera pas sauvé ? D'où vient donc qu'on vibre jusqu'au bout en espérant un deus ex macchina salvateur ? Quant au dernier tome justement, s'il m'agace quand il marivaude et décrit et les amours de cour, il développe  un nouvel épisode anglais extraordinaire (la restauration de Charles II) , la fabuleuse et mythique  histoire du Masque de Fer et il introduit avec brio les jeux d'influence respectifs FOUCHER/ COLBERT. Enfin, la personnalité d'ARAMIS se complexifie et il semble finir damné, définitivement tombé du côté obscur.

Après la révolution de 1848, Dumas est criblé de dettes. Il néglige ses romans au profit du théâtre mais les patrons de presse attendent leur livraison et lui font des procès. Insolvable, il fit à Bruxelles, tout de suite après le coup d'Etat de Louis Napoléon. Il prétend d'ailleurs quitter le pays pour des raisons politiques: n'accompagne t il pas Hugo pour son banquet d'Adieux à Anvers avant son départ à Guernesey? L'apparence même n'est pas sauve: la gloire littéraire de Dumas faiblit: il se fâche avec MAQUET, lequel voudrait finalement partager la gloire...Cette gloire MAQUET ne l'eut jamais mais il finit ses jours riche. Dumas, immortel écrivain mourut dans la plus grande misère. Il s'éteint chez son fils, Alexandre, rendu célèbre par sa "Dame aux Camelia" le 5 décembre 1870, juste après la chute de Napoléon III.

Simone Bertière cite cette réflexion de la fin de sa vie, si pertinente pour tous les scribouillards du dimanche: "Commencer par l'intérêt,au lieu de commencer par l'ennui; commencer par l'action, au lieu de commencer par la préparation; parler des personnages après les avoir fait paraître au lieu de les faire paraître après avoir parlé d'eux".

Dans mon prochain "post"  je vous parlerai de deux livres passionnants de la linguiste Henriette Walter "L'aventure des Langues en Occident" et "Le français dans tous les sens".

Bien à Vous

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